27 janvier 2010

Les bétons de fibre Partie 3

2.2 Comportement d'une fibre métallique

        2.2.1 Modélisation de l'action d'une fibre

Lorsqu'on étudie une fibre seule, il est possible de réaliser un essai de traction uniaxial , afin de déterminer sa résistance propre. Les études menées (burakiewickz, 1989) permettent de montrer ce qui se passe au niveau de la mobilisation de l'ancrage d'une fibre dans la matrice cimentaire.



La première phase est celle pendant laquelle la fibre commence à être sollicitée dans sa phase élastique. On recherche évidemment à mobiliser le plus rapidement possible la fibre pour limiter la propagation des fissures dans la matrice. Dans un second temps, la fissuration de la matrice mobilise les fibres et le transfert des contraintes à l'interface a lieu. La ductilité des fibres permet une grande dissipation d'énergie. L'ancrage est finalement rompu et la fibre peut alors dissiper par frottement supplémentaire (friction) au niveau de l'interface.
Le comportement de l'interface sera décrit ultérieurement dans ce chapitre.

Des recherches menées par [chanvillart 1992], [Bentour et Mindess] proposent un point de vue essentiel sur les modes de rupture de la fibre. Dans un matériau à matrice fragile comme le béton, lorsque les contraintes deviennent élevées, les fibres se décollent puis s'arrachent : c'est la ruine du matériau.

Il existe une longueur critique de fibre lc pour laquelle la fibre va se rompre de façon optimum, c'est-à-dire en dissipant un maximum d'énergie, la contrainte appliquée étant alors égale à la contrainte maximum de rupture de la fibre.


Lorsque la longueur de cette fibre est trop courte, le décollement de la fibre se produit et ne permet pas la rupture de la fibre ; l'énergie dissipée est donc moindre. Lorsque la fibre est de longueur trop importante, elle se rompe en traction, mais l'ancrage trop important rend inutile la longueur de fibre supplémentaire.





Il est également important de souligner l'importance de la résistance de la matrice. En effet lorsque celle-ci n'est pas assez forte, l'ancrage n'est pas bien mobilisé et la dissipation d'énergie escomptée n'a pas lieu. A l'inverse, Si elle est trop importante, la fibre pourrait se rompre car l'ancrage aux extrémités de celle-ci serait trop fort.

2.2.2 Répartition des contraintes au sein d'une fibre

On considère une fibre discontinue, courte, sollicité dans sa phase de réponse élastique. Les contraintes de cisaillements à l'interface sont maximum aux ancrages et nuls au centre. Les contraintes sigma f représentent l'intensité des contraintes de traction à l'intérieur de la fibre.


Il est important de préciser que lorsque la matrice est fissurée et que l'on considère la répartition des  contraintes au-delà de la phase élastique, les contraintes de cisaillement au niveau de l'interface, prennent en compte une composante de friction au niveau de la fissure qui vient en addition de la contrainte élastique.[P.Pierre, 1999] La lecture des différents articles sur ce sujet a permis de mettre en évidence la complexité des interactions fibre matrice. Il est apparu que la compréhension des phénomènes rend interdépendant un certains nombres de paramètres comme la dimension des fibres, les modules d'élasticité du béton et des fibres. L'observation de l'interface fibre matrice, et la compréhension des mécanismes de fissuration a permet de relier d'autres paramètres comme la surface de contact au niveau de l'interface, l'orientation des fibres par rapport à la fissure.


2.3 Comportement de l'interface fibre matrice

Le comportement du composite est intimement lié aux phénomènes en présence au niveau de l'interface du matériau composite. La réponse de celui-ci dépend des caractéristiques dimensionnels, des caractéristiques mécanique de la matrice et bien entendu des sollicitations extérieures. L'interface fibre matrice présente des similitudes avec les caractéristiques de l'interface pâte granulat dans le sens où la porosité y est plus élevée. On observe également une concentration plus importante de Portlandite (CH).

L'adhérence au niveau de l'interface est définie lorsque qu'il y qu'une interaction moléculaire entre les deux surfaces (liaison chimiques faibles, force de Van der Waals ).

2.3.1 Observations

Lorsqu'une fibre présente dans une matrice une interface faible, la fissure matricielle génère une longue décohésion à la surface des fibres. En ce qui concerne la matrice cimentaire renforcée de fibres métallique, l' interface peut être qualifiée de forte. Les fissures matricielles sont déviées au niveau de l'interface ou sont observés de nombreux rebranchements. Les fissures se propagent dans le matériau en contournant les renforts au niveau de l'interface.

Ces observations sont présentées par [A.Bentour, 1985]. L'étude de la configuration spatiale des fibres par microscopie électronique a été réalisée avec des sollicitations parallèles aux fibres.

Ces études montrent également que la zone de béton toute proche de la fibre (200 micromètres à 1000 micro mètres) présente une décohésion et une microfissuration très élevée. Ce comportement se retrouve d'ailleurs dans l'études de certain composites céramiques pourtant différents d'une matrice cimentaire. [A.Bentour, 1985] conclu également que la simple considération de déviation de la fissure ne donne qu'une description idéalisée et que l'hétérogénéité de la zone d'interface est en partie responsable des observations de fissures multiples et de trajectoires de fissure variées. Les observations semblent donc plus complexes à interpréter qu'on pourrait à priori le supposer.



2.3.2  Le pontage des fissures

L'ouverture de la fissure au niveau de la matrice représente la réponse du matériau aux sollicitations extérieures. Comme on l'a vu précédemment, Les fissures sont tout d'abord diffusent au sein de la matrice, avant de grandir puis de se regrouper et de former des macrofissures.


Nous avons dans le paragraphe précédent expliqué les observations relatives à la rencontre entre une fissure et une fibre. La fissure va continuer de se propager à la rencontre d'autres interfaces fibres- matrice.

Lorsque la fissure est située dans le plan perpendiculaire à la fibre et à la sollicitation extérieure. L`ouverture de la fissure, suite à l'accroissement des sollicitations extérieures, est contrôlée par une fraction de fibre qui assure le transfert de charge. Ces fibres sont d'autant plus chargées que les lèvres de la fissure s'écartent. Le mécanisme de pontage réduit fortement l'intensité des contraintes en fond de fissure matricielle, ce qui caractérise l'action composite .Si l'on considère une analyse des contraintes on montre que la contrainte au niveau de la pointe de la fissure est minimisée par la mobilisation de la fibre. Ce pincement connu sous le nom de pincement de Romualdi [Romualdi, 1964], s il est suffisant, peut arrêter la fissure. Dans le cas contraire la fissure continue de se propager, en contournant la fibre, ce qui explique les observations mentionnées dans le paragraphe précédent.

Figure 11

Contrainte de cisaillement le long d'une fibre


Si l'on analyse le phénomène du point de vue énergétique, L'énergie transmise par les charges extérieures est dissipée une première fois dans la matrice jusqu`à ouvertures des fissures. Une grande partie de l'énergie restante est dissipée grâce à la microfissuration de l'interface que nous avons évoqué précédemment. Les fibres métalliques qui sont mobilisés progressivement, apportent au matériau sa ductilité en dissipant de l'énergie par mobilisation du frottement à la surface de celle-ci.

Le mécanisme de pontage permet la dissipation de l'énergie transmise dans le matériau,comme le montrent plusieurs articles consultés. On peut observer ci-dessous un image au microscope électronique [A.Bentour, 1985] llustrant la déviation de la fissure et la micro fissuration au niveau de l'interface.


Figure 12

Arrêt d'une fissure par une fibre


Suite à ces explications, on serait tenté de croire que plus l'interface est forte, plus la résistance à la propagation des fissures est grande. En réalité, il faut considérer un autre phénomène. En effet si l'interface est trop forte, la fissure pourrait se propager en ignorant le renfort (la fibre).

L'effet de la présence des fibres serait minimisé et le composite pourrait mal réagir aux sollicitations importantes. Cet effet s'ajoute à celui décrit en 2.1.1.

2.3.3 L'effet Cook-Gordon.

Si l'on considère une fissure perpendiculairement à la direction principale d'une fibre tel qu'illustré ci-dessous, il est possible d'établir une relation entre les paramètres dimensionnels de la fibres et le comportement en fissuration. Les articles que nous avons analysés font mention d'un mécanisme connu sous le nom de mécanisme de Cook et cordon. L'utilisation a permis selon [LI 1993] d aider à prédire une relation contrainte ouverture des fissures au niveau de l'interface fibre matrice.

Considérons une fibre isolée et une fissure proche de l'interface. Lorsqu'une fissure se propage dans la matrice cimentaire et atteint la zone proche d'une fibre, une ouverture se forme au niveau de l'interface. Par la suite la fissure progresse brusquement et se retrouve liée à la cavité verticale de dimension delta comme le montre la figure ci dessous. Cette dimension est appelée paramètre de Cook Gordon. L'auteur de l'article précise que ce phénomène a pour conséquence l'augmentation de la largeur de la fissure perpendiculaire à la fibre. Il est intéressant de remarque que l'hétérogénéité et la porosité au niveau de l'interface joue un rôle important dans l'ouverture de la fibre et donc dans la mobilisation de la fibre, comme cela a été évoqué dans les paragraphes précédents.



Figure 13
Schéma de principe cook Gordon


2.3.4 Modélisation du comportement post fissuration de la fibre

La condition de déviation d'une fissure par une interface repose sur le mécanisme de Cook Gordon et sur la répartition des contraintes dans le fond de fissure. Une analyse aux éléments finis permet en considérant une cellule élémentaire constituée de deux matériaux (béton et fibres) d'évaluer la résistance de l'interface à la  rupture en fonction des modules d'élasticités des constituants. En comparant les résultats obtenus par expérimentation en laboratoire, on a pu comprendre les relations entre la largeur des fissures et la contrainte. Le but à terme est de savoir exactement prédire la quantité de fibre nécessaire à la bonne transmission des charges entre fibre et matrice cimentaire.

Nous présentons dans ce paragraphe les résultats de [Henrik, Stang et Li, 1995] sur le comportement en chargement uni axial d un béton de fibre. Il a été pris en considération dans ces études, le phénomène de  pontage des granulats, des fibres que nous avons décri précédemment, et le mécanisme de Cook-Gordon.
On recherche la valeur de la contrainte transportée par la fissure qui est reprise par la fibre. La contrainte se décompose en une contrainte de pontage des granulats, une contrainte de pontage des fibres et une contrainte « élastique » venant du fait que la fibre est déjà soumise à une contrainte élastique lorsque la première fissure se forme.

L'article conclu que pour un taux de fibres égal à 2% et pour des ouvertures de fissures limite de 0.3 mm, les paramètres de L et d sont prépondérants. La compréhension de l'ouverture des fissures et de l'action des  fibres est améliorer car la prédiction des modèles semble refléter les résultats d'expériences présentés dans les articles.

2.4 Comportement des fibres dans la matrice

En ce qui concerne la compréhension du matériau et l'action macroscopique des fibres à l'échelle de l'élément de structure considéré il est important d'évoquer des phénomènes d'échelle et d'attirer l'attention sur des paramètres comme l'orientation préférentielle des fibres, leurs caractéristiques dimensionnelles. 

2.4.1 Action de plusieurs fibres, effets d'échelle

Ce phénomène a été constaté en faisant varier le dosage en fibre d'un mélange avec une quantité de pâte donnée. On pourrait croire que le pourcentage de fibre est directement proportionnel aux caractéristiques mécaniques obtenues. En réalité il n en est rien. Même si cela était le cas, il est impossible d'augmenter le taux de fibres de façon très importante pour des questions de maniabilité notamment.

Considérons deux fibres distantes plongées dans la pâte de ciment. Lorsqu'une fissure se manifeste, et qu'une des deux fibres possède une orientation exactement perpendiculaire à la fissure, cela lui confère une action supérieure à l'autre fibre. La première fibre peut agir sur la seconde par l'intermédiaire d'une compression de la matrice cimentaire et ainsi provoquer une action combinée des deux fibres supérieures à la somme des actions individuelles des deux fibres. A contrario, lorsque les fibres sont trop proches, la fine couche de pâte qui les sépare ne suffit pas à provoquer cette synergie. Pire, l'action résultante des deux fibres est inférieure à la somme de leur action individuelle.On peut ainsi définir une fourchette qui fixe un taux de fibre dans le mélange. [Rossi] 



2.4.2 Les paramètres qui influent sur le mélange

Forme de la fibre

On s'intéresse ici à certains paramètres dimensionnels des fibres, et à leur influence sur le matériau. [E.Parant, 2006] rapportent les travaux effectués sur des BFUP pour comprendre l'action des fibres de différente forme. L'emploi de fibres à crochet permet par exemple d'augmenter de 20 % le module de rupture passant ainsi de 50 à 60 MPa. L'augmentation de l'effet d'ancrage qui résulte de l'emploi de telles fibres est un paramètre permettant d'optimiser la géométrie des fibres pour obtenir une dissipation d'énergie maximum.

Cependant il faut considérer le fait que dans le cas des BFUP, la matrice cimentaire est très compacte et très résistante. Cela a pour conséquence de rendre prépondérant, le mode de rupture de la fibre par frottement. La surface développée d'une fibre isolée peut être améliorée grâce à une recherche de forme torsadée. Les expériences montrent notamment des améliorations comparativement meilleures avec l'emploi de ces fibres.

On remarque que comme nous l'avons mentionné, la qualité de la matrice cimentaire est très importante. Dans le cas des bétons riches en ciment et en fumée de silice, les effets de faiblesse au niveau de l'interface sont minimisés et favorisent l'action des fibres (microfibres). Cela contribue à expliquer la résistance exceptionnelle de ce matériau. Il est communément admis que l interface présente une porosité importante. La fumée de silice peut agir par effet filler et par réaction chimique directe avec la Portlandite pour améliorer l'interface [Sozoushian et Bayasi, 1988 ] .

Surface de la fibre

Certaine étude comme celle de [P.Rossi], mentionnent l'importance de la surface de contact avec le béton. Cependant certaines recherches montrent peu d'amélioration de la résistance par traitement de surface de mélanges de micro fibrés (thèse P.Pascal). On peut remarquer qu'il existe très peu de résultats concernant ce sujet et que les interprétations proposées dans les articles sont parfois contradictoires.

2.4.3 Du matériau à la structure

Les mécanismes principaux qui décrivent l'action des fibres dans le béton ont été présentés. Il est important d' attirer l'attention sur le fait que le comportement du matériau à l'échelle de la structure est parfois différent du comportement observé dans la microstructure. On peut citer comme exemple l'apport de ductilité caractéristique des BFM dont l'origine est la création et la propagation de la macro fissure.

L'étude des contraintes au niveau de l interface a cependant a permis de réelles améliorations dans le domaine des bétons renforcés de fibres métalliques. Le composite multi échelle développé au LCPC correspond à la prise en compte des deux effets : matériaux et structure.

Ce béton comprend un pourcentage de micro, méso et macro fibres. Ainsi, on espère coudre les macro-fissures avec les fibres longues et éviter la coalescence des microfissures grâce à l'action des microfibres. Un effet supplémentaire de synergie entres fibres de taille différente s'opère liant ainsi le matériau à plusieurs échelles.